Tel que lu hier au Vices et Versa.Pas un mot. Pas un son.
Le temps d’un moment, comme ça, en silence. On marchait sur Ontario, ensemble, elle venait de finir un long monologue libérateur sur son enfance. Son enfance au moins détruite, presque anéantie.
Un monologue qu’elle avait fini; elle avait tout dit. Tout ce qu’elle avait sur le cœur, tout ce qu’elle gardait pour elle depuis des années. Toute sa rage, son impuissance, sa peine ses peurs, elle. Elle venait de s’ouvrir, elle avait tout dit. Et moi, je ne savais pas trop quoi dire. Elle venait de me confier les abus qu’avait fait son grand-père, sur elle, de six à dix ans. Je savais pas quoi dire. Elle n’aurait pas aimé la pitié, et encore moins m’entendre parler de moi, et de mes problèmes. Mes problèmes soudainement minuscules à côté des siens. Je savais pas quoi dire, ça m’embêtait.
J’ai fait mon homme, j’ai fermé ma gueule.
Mais elle avait pas l’air de feeler bien, elle était sur le bord des larmes, sur le bord de l’explosion. C’était un silence lourd, un silence où elle avait besoin de mes mots, de mon réconfort, de moi. Et je déteste les silences. Alors j’ai fait un effort surhumain, j’ai osé une parole.
- Ouain, je comprends.
C’est tout ce que j’ai trouvé à dire. Une réplique poche. « Ouain, je comprends ».
Elle s’est retournée vers moi, elle m’a regardé, un peu plus proche des larmes, d’un air qui voulait dire que je ne pouvais pas comprendre. Je savais encore moins quoi dire. Les mots ne me viennent pas tout seul. Là en ce moment j’ai un texte, j’ai pensé à comment j’allais vous raconter ça. Mais à ce moment là, en improvisation, j’étais désemparé, condamné au silence, ou au ridicule.
Du regard, elle me suppliait de dire quelque chose d’intelligent. Pour que je la sauve, pour qu’elle se sente un peu mieux, un peu moins seule. Mais j’étais juste pas à la hauteur. 18 ans, six pieds deux, mais j’étais encore trop petit. L’intention était là. Les mots, non.
J’ai pensé à mes cours de psycho, mais j’étais juste incapable de me rappeler ce que je devais faire. Le silence s’est maintenu pendant que je pensais, l’inconfort qui vient avec s’est agrandi aussi. Mon inconfort illégitime de gars pas à la hauteur, son inconfort plus que légitime de fille qui avait l’impression de s’être confiée à la mauvaise personne.
Le silence, câlisse, le silence…
Elle est partie, sans même me dire, au revoir en bifurquant dans une ruelle. Elle versait ses premières larmes. Elle ne voulait pas pleurer devant moi, elle avait compris que j’étais pas à la hauteur, que je suis pas le gars compréhensif et aidant que j’ai toujours voulu être, que j’étais pas à mon image, autant pour moi que pour elle. Elle est partie en me laissant une impression de désespoir, je me suis senti mal, terriblement mal.
J’ai continué de marcher sur Ontario. Il y avait encore une file d’auto qui faisait tout plein de bruit mais j’entendais encore le silence. Et j’ai pensé, j’ai pensé. Pis je me suis dit que tout ce que j’aurais dû lui dire, c’est comment elle je me sentais, simplement.
J’aurais dû lui dire à quel point son récit m’a touché, que j’avais moi aussi la larme à l’œil. Qu’elle ne méritait pas ça, que je l’appréciais pour la confiance qu’elle m’accordait. Que je la trouvais forte, exceptionnellement forte, de se confier à moi comme ça, que je voulais vraiment l’aider, qu’elle pouvait pleurer. Que l’important c’état elle. Pis que si il y avait de quoi, ben, que j’étais là pour elle.
Mais non, ça a été un silence. Je suis revenu chez moi, avec personne pour conter ça, avec juste ma petite tête remplie qui débordait d’émotions de toutes sortes, avec moi aussi, qui avais soudainement, le besoin de parler.
Alors je vous conte ça parce qu’il fallait que j’en parle, parce que je pouvais pas garder cette histoire là pour moi seul, un gars pas à la hauteur, un gars trop petit malgré 18 ans et six pieds deux. Parce que je pouvais pas garder cette histoire-là en secret, sous silence, sans un mot ni un son.