29 janvier 2006 à 20:34

Importants

L'homme aux cheveux gris marche la tête haute et le regard droit vers l'avant. Sur une rue grise de Montréal il va, mallette à la main, sourire confiant à la bouche. Il regarde au dessus des gens, il regarde plus haut. Il est important, l'homme.

D'un geste sec et précis, il dégage de sa manche son bras gauche pour y redécouvrir sa montre. Il analyse un instant les aiguilles de sa Rollex, avant de ramener le précieux objet sous la manche de son manteau North Face. L'heure presse, le temps manque, l'homme accélère la cadence de ses pas. Il est important, l'homme.

D'une aisance qui signale une habitude, l'homme s'engouffre dans le métro. Sans se retourner il descend jusqu'aux plus profonds sous-terrains de l'urbanisation. D'un air intransigeant, il fait disparaître du revers de sa main une feuille d'automne, morte, collée sur son manteau, qui composait une atteinte au sérieux que lui confère son apparence ordinairement impeccable. Il est important, l'homme.

Le train sous-terrain de la ville s'arrête devant l'homme. Celui-ci y embarque. Il se taille dans la foule de vulgaires ouvriers une place. Il se tient debout, sa main droite accrochée à un poteau vertical. Il se tient debout, l'homme. Il est fier, l'homme.

Trois stations plus loin, l'homme sort du Wagon populaire. Tout en marchant, rapidement, il redécouvre à nouveau sa Rollex. Le temps presse. L'homme fixe l'avant, et accélère. Il ne détourne pas son regard de l'objectif. Il n'aperçoit pas le mendiant qui implore la pitié à sa droite. Il ne voit pas la fillette en pleurs qui cherche sa meurt. À la population ses obligations. A l'élite la sienne. L'homme doit être à sa tâche dans quelques minutes. L'homme doit contribuer à l'économie de la métropole. Il doit être à l'heure au bureau pour permettre à aux ouvriers qui travaillent pour lui d'avoir un emploi demain encore. L'homme ne peut régler les petits drames humains, il doit faire fonctionner le système. Il est important, l'homme.

Un étranger aborde l'homme. Il s'impose devant lui. L'étranger est à peine plus grand que l'homme. Son manteau est nettement plus sale que le sien. Ses cheveux sont nettement moins grisonnants. Son visage nettement plus jeune. Il est évidemment d'une autre classe sociale. L'étranger prend la parole :"Monsieur, si je peux prendre un instant de votre temps, j'aimerais que vous répondiez à une ou deux questions. Je suis étudiant et pour mon travail de sociolo..."
L'homme contre-attaque. Il plante ses yeux dans ceux de l'étrange. L'étranger baisse le regard, vers une tuile quelconque du plancher. En deux mots accompagnés d'un sourire pinçant, l'homme achève l'étranger:"Excusez-moi..."
L'étranger se sent soudainement intimidé, cède le passage à l'homme et bafouille des excuses. L'homme est déjà plusieurs mètres plus loin. Son sourire est parti et ses yeux se sont replacés vers l'avant. Il est important, l'homme.

En moins d'une minute, l'homme atteint l'ascenceur numéro trois de la tour est du complexe Desjardin. La porte s'ouvre devant lui, il y entre le premier. Une demie-douzaine d'autres hommes en manteaux cleans - mais pas des North Star - le suit. L'engin entamme sa montée. Un à un, les travailleurs débarquent à des étages inférieurs. L'homme, lui, monte plus haut. Il est important, l'homme.

Étage 42, l'homme quitte l'élévateur. Il donne ses salutations à la secretaire d'un de ses collègues, il envoie la main à un confrère. Il retrouve son bureau, y entre. Il dépose son manteau sur la paterre en bois à côté de la photographie de sa femme. L'homme, maintenant en veston cravate, s'assoit à son bureau. Il dépose sa malette sur son bureau, l'ouvre. Sort quelques papiers, et ses lunettes qu'il dépose sur son nez. Alors, le patron entre dans la pièce, et s'adresse à l'homme d'une voix autoritaire en plantant son regard, et tout le poids que cela implique, sur l'homme.
"Ah, vous êtes arrivé! Pour midi, il me faut ce rapport sur les services web en croissance et votre signature sur le projet de coupures de poste dans le département du soutient."
L'homme baisse les yeux. Il est important, le patron.
Un billet signé Nicolas

0 manifestation(s):

Publier un commentaire

<< Retour