04 août 2005 à 22:11

Pierre

Je m’appelle Pierre. J’ai six ans. On habite fort Chambly. Ma mère et mon père, mes six frères et sœurs et moi. La vie est pas toujours facile mais elle quand même belle.

Aujourd’hui c’est le 27 décembre. C’est ma fête. Je n’aurai pas de cadeaux, parce qu’on a pas assez d’argent pour ça. Noël c’était avant-hier, alors personne ne peut m’acheter de cadeaux.

J’ai commencé l’école cette année. Les autres jeunes m’écoeurent, sauf quand mes deux grands frères sont là. J’haïs ça quand ils m’écoeurent, je me sens tout seul. Des fois, je rêve que je mets un masque et que plus personne ne me reconnaît, et que je sacre une volée à tous ceux qui m’écoeurent. Je rêve que tout le monde me trouve fort et gentil après, mais que je n’ose pas enlever mon masque. Parce que je sais que si je le ferais, ils continueraient à ne pas m’aimer.

Alors en attendant j’ai mes grands frères pour m’aider. Hier, ils ont été casser les fenêtres des voisins. Et je les ai suivi, parce que j’ai besoin d’eux. Quand ma mère a appris ça, elle a décidé que la strappe, ça ne serait pas assez sévère.

« Attendez que votre père revienne ! »

Ça, c’est la phrase finale. On a été se cacher dans notre chambre. Quand notre père vient nous voir, il n’y a rien de pire que ça au monde. Alors on se cache, et c’est la peur. Une vraie peur, parce qu’on sait ce qui nous attend. J’aurai presque voulu mourir.

On s’est caché pendant trois heures, jusqu’à ce qu’on entende ma mère dire « Benoît, les enfants sont dans la chambre, je pense qu’il faudrait que tu les corrige. ».

Et ça, ça ! Ça, c’est la douleur.

Mais la vie continue.


J’ai onze ans. Tantôt, à l’école, le gros Landry a dit qu’il me pèterais la gueule. Je vais amener mes frères, et il va sûrement amener ses amis aussi. Mais on va les planter, on les plante toujours. À fort Chambly, on se bat souvent, mais notre famille on gagne toujours, parce que notre père nous a montré à ne pas nous laisser faire.

Les jumeaux, Hélène et Denis, vont venir aussi, ça va être leur première bataille. Je les aime bien, les jumeaux. Hélène est coquine et Denis me fait penser à moi, je m’y suis attaché.

Tout ça pour dire qu’on va planter Landry tantôt, et que la vie continue.



J’ai quatorze ans. J’ai commencé à m’entraîner il y a trois mois, je fais du karaté. J’aime vraiment ça. Je m’entraîne deux fois par semaine, et quand je ne suis pas au gym, et bien j’y pense. J’adore les combats, parce que j’y mets toute ma rage, mais en même temps il y a un respect de l’adversaire. C’est défoulant et tranquillisant, c’est bon pour le corps et l’esprit.

Denis s’entraîne aussi. Il suit mes idées et il m’apporte beaucoup aussi, c’est plus qu’un frère pour moi.

Et, devinez quoi ? La vie continue !


J’ai quinze ans. J’ai vraiment la piqûre du karaté. Je m’entraîne cinq fois par semaine, avec Denis. Sauf que…

Cet après-midi, j’ai brassé Denis un peu. Je l’ai critiqué sur ses comportements bizarres qu’il avait trop souvent ces temps-ci, sur ses changements trop fréquents de perception. Il n’a vraiment pas aimé ça, et, je ne sais pas pourquoi, il s’est terriblement choqué. J’ai quitté la maison, pour quelles heures.

Quand je suis revenu, il gisait sur le sol dans un bain de sang. Il s’était ouvert les veines avec un couteau. Je me sens coupable. J’ai l’impression que tout est de ma faute.

J’ai vu mon père pleurer pour la première fois, il avait l’air anéanti. Et je n’ose pas leur dire ce qui s’est passé cet après-midi, j’ai peur que tout soit de ma faute…

Mon père dit qu’il ne faut pas s’en faire, que la vie doit continuer.


J’ai dix-neuf ans. Je quitte la maison familiale, j’ai trouvé un emploi dans une fabrique de semelles à Marieville. C’est en attendant d’avoir un meilleur emploi, mais je n’en peux plus de Chambly.

J’ai toujours les même problèmes que j’avais quand j’avais six ans, je me sens terriblement seul. Sauf qu’avec cinq ans de karaté, on ne m’écoeure plus. On me craint. Mais je me sens toujours aussi terriblement seul.

Je ne sais plus trop quoi faire, sauf laisser la vie continuer.


J’ai vingt-sept ans. Ma vie a changée depuis mon adolescence. Ma femme, oui j’ai une femme, vient d’acccoucher. Mon père est content qu’on ait eu un garçon. C’est pas parce qu’il est sexiste, mais je suis le premier de mes frères à avoir un enfant. Et il voulait un garçon, pour que notre nom de famille continue d’exister dans les prochaines générations. J’ai l’impression qu’il y voit une sorte de combat, d’éternel combat de père en fils. Un combat de survie. Et je le comprends.

Aujourd’hui, j’ai eu un fils, et il s’appellera Nicolas. Parce que la vie continue.
Un billet signé Nicolas

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Un commentaire de Anonymous Anonyme...

C'est fun que t'aimes ça écrire parce qu'en plus tu écris bien.

2:17 p.m., août 05, 2005  

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