Nicolas
Je m’appelle Nicolas. J’ai quatre ans. Tantôt, mon papa m’a fait très mal.
Des fois, quand je fais des mauvais coups, comme quand j’ai cassé le truc de parfum à maman, il me donne la fessée. Mais j’ai compris, il faut juste que je sois sage, que je reste dans mon coin tranquille, et je ne reçois jamais de punitions.
Tantôt, je me suis fait mal. J’avais tellement mal que je pleurais, comme quand il me donne la fessée. Papa est venu me voir et il m’a dit d’arrêter de pleurer. J’ai essayé, mais j’avais peur de ne pas réussir, et la peur ça me fait pleurer, alors je n’ai pas réussi.
Il m’a donné un coup sur la main. Un coup très très fort, je n’avais jamais eu aussi mal. Alors j’ai arrêté de pleurer, je l’ai regardé et je lui ai dit, en reniflant encore un peu :
« Celle là elle a fait vraiment mal ».
Mon père a reculé sa main. Il est resté debout longtemps sans bouger. Il était bizarre. Il avait l’air d’essayer de comprendre quelque chose de compliqué. Moi je ne disais rien, parce que j’avais trop peur. Et il m’a dit, d’un ton gentil « Tu sais Nicolas, t’es la personne que j’aime le plus au monde, et jamais je ne voudrais te faire mal. Je suis tellement fier de toi. C’est la dernière fois que je te frappe, promis. »
Alors il est partit dans sa chambre. Ma mère lui a dit « Pierre, qu’est-ce que t’as ? », mais il n’a pas répondu, il est allé vite dans sa chambre et il a fermé la porte.
J’aime pas ça quand mon père me frappe, mais au fond c’est parce que je le mérite. Mon papa c’est le meilleur papa au monde.
Et que la vie continue.
J’ai onze ans. Je ne sais pas trop comment c’est arrivé, mon père s’est mis à me parler sérieusement. Il m’a raconté son enfance à fort Chambly, l’enfance de son père, de toutes les épreuves qu’ils ont passés.
Je ne sais pas trop comment, mais il a fini par me parler de quand j’étais jeune. Il m’a parlé des rares fois où il m’a puni par la violence, il s’est excusé. Il avait les larmes aux yeux. Je ne sais pas pourquoi, mais moi je ne m’en rappelle plus, sauf que quand il m’en parle, j’ai comme une drôle d’impression, et j’ai une boule dans la gorge, et je sens que je suis triste. Et j’ai quelques vagues souvenirs, mais on dirait que chaque fois que j’essaie d’y penser, ils deviennent moins précis. Je n’arrive pas à m’en rappeler, mais quand j’essaie ça me rend triste, c’est bizarre.
Et il m’a expliqué qu’il était fier de moi. Comme mon grand-père est fier de moi. Il m’a expliqué que j’étais le seul garçon qui pouvait transmettre le nom de famille que mon arrière grand-père m’avait laissé. Mon grand-père n’avait pas eu de frère, Denis s’était suicidé, l’aîné de mes oncles ne peut pas avoir d’enfant et le dernier de mes oncles possibles n’est pas marié.
J’ai sentit une grande pression, mais du même coup une certaine fierté, c’était bizarre. Comme si c’était un combat pour que la vie continue.
J’ai quinze ans. Mon grand-père est décédé il y a un mois. Il est mort d’un infarctus, et c’est une faiblesse transmise génétiquement. J’ai peut-être cette faiblesse en moi.
Mon père m’a remis une vielle montre, qui date de beaucoup de générations. L’aîné de mes oncles devait le transmettre à son fils aîné, mais puisqu’il ne peut pas avoir d’enfant, il a décidé que l’objet me revenait. J’y vois une grande symbolique, symbole d’un long combat, symbole d’épreuves traversées. Symbole de victoires passées et aussi de l’espoir de victoires futures. Symbole de la misère de laquelle s’est sorti Ben (diminutif de Benoît), et de l’évolution des frère et sœurs de fort Chambly.
Et j’ai peur, peur de les décevoir si je n’arrive pas à trouver la femme qui sera dans ma vie quand on décidera qu’il est temps de transmettre la vie, peur de ne jamais avoir d’enfant, peur de lancer la vielle montre au fond d’une rivière à soixante-dix ans en signe d’échec.
Mais je ferai mon possible, parce que la vie continue.
J’ai dix-huit ans. Je me sens seul trop souvent, j’en arrache beaucoup ces temps-ci. J’ai vieilli, j’ai grandi. Aujourd’hui, j’ai compris ce qu’il s’est passé dans la tête de mon père quand j’avais quatre ans. J’ai compris ce qu’il avait du ressentir, tout d’un coup. Qu’il venait de commettre l’irréparable, qu’il avait recréé un traumatisme dont il portait encore lui-même les séquelles. Et qu’il l’avait donné à son propre enfant, à sa plus grande fierté. Il a dû se sentir irresponsable, il a dû sentir l’échec, et sentir l’impuissance.
Parce que ce jour-là, je lui ai dit que j’étais capable d’avoir mal sans pleurer, comme il me l’avait demandé. À partir de ce jour-là, j’allais pouvoir, comme son père et lui-même, me sentir seul parce que je n’arriverais plus à communiquer. Ce jour-là, je lui ai montré que j’étais devenu un homme fort moi aussi. Et je l’ai sonné, d’une seule réplique, je l’ai remis en question. J’avais quatre ans.
Et j’ai compris pourquoi, encore aujourd’hui, je n’ai presque aucun souvenir de ces scènes. J’ai compris que mon inconscient m’empêche de les revoir, parce qu’il veut me protéger. Et que c’est pour ça, que même au moment où j’écris ce texte, j’ai encore la même boule dans la gorge et la même tristesse qu’il y a sept ans.
Et je me demande si c’est à cause de la pression familiale qu’aujourd’hui, inconsciemment, j’ai l’impression que ça me prend une fille dans ma vie pour être bien. Mais, ça, j’en ai aucune idée, c’est peut-être juste ma solitude aussi.
Mais une chose est sûre, rien n’est terminé. J’ai encore des années devant moi, des années à tout essayer pour être un peu moins seul.
Parce que le combat continue. Parce que la vie continue.
Des fois, quand je fais des mauvais coups, comme quand j’ai cassé le truc de parfum à maman, il me donne la fessée. Mais j’ai compris, il faut juste que je sois sage, que je reste dans mon coin tranquille, et je ne reçois jamais de punitions.
Tantôt, je me suis fait mal. J’avais tellement mal que je pleurais, comme quand il me donne la fessée. Papa est venu me voir et il m’a dit d’arrêter de pleurer. J’ai essayé, mais j’avais peur de ne pas réussir, et la peur ça me fait pleurer, alors je n’ai pas réussi.
Il m’a donné un coup sur la main. Un coup très très fort, je n’avais jamais eu aussi mal. Alors j’ai arrêté de pleurer, je l’ai regardé et je lui ai dit, en reniflant encore un peu :
« Celle là elle a fait vraiment mal ».
Mon père a reculé sa main. Il est resté debout longtemps sans bouger. Il était bizarre. Il avait l’air d’essayer de comprendre quelque chose de compliqué. Moi je ne disais rien, parce que j’avais trop peur. Et il m’a dit, d’un ton gentil « Tu sais Nicolas, t’es la personne que j’aime le plus au monde, et jamais je ne voudrais te faire mal. Je suis tellement fier de toi. C’est la dernière fois que je te frappe, promis. »
Alors il est partit dans sa chambre. Ma mère lui a dit « Pierre, qu’est-ce que t’as ? », mais il n’a pas répondu, il est allé vite dans sa chambre et il a fermé la porte.
J’aime pas ça quand mon père me frappe, mais au fond c’est parce que je le mérite. Mon papa c’est le meilleur papa au monde.
Et que la vie continue.
J’ai onze ans. Je ne sais pas trop comment c’est arrivé, mon père s’est mis à me parler sérieusement. Il m’a raconté son enfance à fort Chambly, l’enfance de son père, de toutes les épreuves qu’ils ont passés.
Je ne sais pas trop comment, mais il a fini par me parler de quand j’étais jeune. Il m’a parlé des rares fois où il m’a puni par la violence, il s’est excusé. Il avait les larmes aux yeux. Je ne sais pas pourquoi, mais moi je ne m’en rappelle plus, sauf que quand il m’en parle, j’ai comme une drôle d’impression, et j’ai une boule dans la gorge, et je sens que je suis triste. Et j’ai quelques vagues souvenirs, mais on dirait que chaque fois que j’essaie d’y penser, ils deviennent moins précis. Je n’arrive pas à m’en rappeler, mais quand j’essaie ça me rend triste, c’est bizarre.
Et il m’a expliqué qu’il était fier de moi. Comme mon grand-père est fier de moi. Il m’a expliqué que j’étais le seul garçon qui pouvait transmettre le nom de famille que mon arrière grand-père m’avait laissé. Mon grand-père n’avait pas eu de frère, Denis s’était suicidé, l’aîné de mes oncles ne peut pas avoir d’enfant et le dernier de mes oncles possibles n’est pas marié.
J’ai sentit une grande pression, mais du même coup une certaine fierté, c’était bizarre. Comme si c’était un combat pour que la vie continue.
J’ai quinze ans. Mon grand-père est décédé il y a un mois. Il est mort d’un infarctus, et c’est une faiblesse transmise génétiquement. J’ai peut-être cette faiblesse en moi.
Mon père m’a remis une vielle montre, qui date de beaucoup de générations. L’aîné de mes oncles devait le transmettre à son fils aîné, mais puisqu’il ne peut pas avoir d’enfant, il a décidé que l’objet me revenait. J’y vois une grande symbolique, symbole d’un long combat, symbole d’épreuves traversées. Symbole de victoires passées et aussi de l’espoir de victoires futures. Symbole de la misère de laquelle s’est sorti Ben (diminutif de Benoît), et de l’évolution des frère et sœurs de fort Chambly.
Et j’ai peur, peur de les décevoir si je n’arrive pas à trouver la femme qui sera dans ma vie quand on décidera qu’il est temps de transmettre la vie, peur de ne jamais avoir d’enfant, peur de lancer la vielle montre au fond d’une rivière à soixante-dix ans en signe d’échec.
Mais je ferai mon possible, parce que la vie continue.
J’ai dix-huit ans. Je me sens seul trop souvent, j’en arrache beaucoup ces temps-ci. J’ai vieilli, j’ai grandi. Aujourd’hui, j’ai compris ce qu’il s’est passé dans la tête de mon père quand j’avais quatre ans. J’ai compris ce qu’il avait du ressentir, tout d’un coup. Qu’il venait de commettre l’irréparable, qu’il avait recréé un traumatisme dont il portait encore lui-même les séquelles. Et qu’il l’avait donné à son propre enfant, à sa plus grande fierté. Il a dû se sentir irresponsable, il a dû sentir l’échec, et sentir l’impuissance.
Parce que ce jour-là, je lui ai dit que j’étais capable d’avoir mal sans pleurer, comme il me l’avait demandé. À partir de ce jour-là, j’allais pouvoir, comme son père et lui-même, me sentir seul parce que je n’arriverais plus à communiquer. Ce jour-là, je lui ai montré que j’étais devenu un homme fort moi aussi. Et je l’ai sonné, d’une seule réplique, je l’ai remis en question. J’avais quatre ans.
Et j’ai compris pourquoi, encore aujourd’hui, je n’ai presque aucun souvenir de ces scènes. J’ai compris que mon inconscient m’empêche de les revoir, parce qu’il veut me protéger. Et que c’est pour ça, que même au moment où j’écris ce texte, j’ai encore la même boule dans la gorge et la même tristesse qu’il y a sept ans.
Et je me demande si c’est à cause de la pression familiale qu’aujourd’hui, inconsciemment, j’ai l’impression que ça me prend une fille dans ma vie pour être bien. Mais, ça, j’en ai aucune idée, c’est peut-être juste ma solitude aussi.
Mais une chose est sûre, rien n’est terminé. J’ai encore des années devant moi, des années à tout essayer pour être un peu moins seul.
Parce que le combat continue. Parce que la vie continue.
Un billet signé Nicolas
2 manifestation(s):
Touchée.
Mais avant d'essayer de se sentir moins seul accompagné, il faut arriver à se sentir moins seul dans la solitude. L'apprivoiser. Y faire son nid. Ensuite on peut s'ouvrir aux autres.
sincèrement Nicolas c'est la série de textes la plus belle que tu ait faite jusqu'a présent. En tout cas, c'est définitivement ma préférée. Je te l'ai déjà dit, mais tu n'as pas semblé me croire (peut-être du à l'alcool...) mais j'aime le style de ta plume et tu a un vrai talent. Je vais continuer de te lire autant que je peux. Et la vie continue, sois heureux.
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