L'étudiante qui lisait Nietzche
C'était une journée normale à la job. Je m'étais levé en retard. J'avais mis mes lunettes une peu sales au lieu de mes verres de contacts, je ne m'étais pas rasé et je m'étais peigné sur le coté, vite vite, avec de l'eau. Bref, mon look nerd d'un gars qui s'en fout un peu, parce qu'il travaille dans une épicerie corporatiste à même une nation capitaliste dirigée par un gouvernement libéral de centre droite.
C'était un peu pour ça que les étudiants étaient, à ce moment, en grève. C'était un peu pour ça que j'avais voté pour la grève. C'était un peu pour ça que je m'étais fait regardé comme un croche par tous les autres employés, capitalistes et fiers de travailler pour cette épicerie corporatiste.
Après un avant-midi ennuyant parce qu'il n'y avait pas un client et que toutes les tablettes étaient pleines, et un après-midi stressant parce que l'épicerie étaient pleine de clients et que les tablettes étaient toutes vides, je pris la décision de prendre une pause, communément appelée "break" par ces apprentis américains que sont mes collègues.
Je ne fumes pas, mais je vais toujours dans la salle de pause pour fumeur, parce que, travaillant à Chambly, une forte majorité de mes collègues sont fumeurs.
La salle de pause était silencieuse, mais pourtant habitée. Sa seule et unique résidente était une caissière (je l'avais reconnu), assise au bout d'une table polluée par les déchets de mes collègues trop paresseux pour ramasser leurs boîtes, leurs sacs et leurs ustensiles, tous usés et non recyclable, en quittant le local.
Des cheveux bruns ondulés et détachés, une cigarette à la bouche (probablement une chamblyenne, me dis-je) et de d'indéchiffrables grands yeux verts créaient un visage qui semblait jeune mais mature. Elle était absorbée par ce qu'elle tenait à la main, un livre de Nietzsche, que j'évaluai comme un de ses travaux de Cégep (le visage jeune et mature me donnait la piste qu'elle était du réseau collégial).
Pris entre la curiosité et la peur d'être trop gêné pour lui adresser un mot, je m'approchai.
- Allo
- Salut, me fit-elle en allongeant un peu le son u.
Sa voix ressemblait à un mélange entre un petite voix mignonne qu'on aurait entendu sur une vieille radio avec une antenne abîmée, et une douce voix calme, mais enrhumée.
- Tu lis Nietzsche?
- Ouais...
- C'est pour l'école?
- Non, c'est pour moi.
Les mots qu'elle plaçait à travers sa petite voix unique semblaient pesés, et le propos de sa phrase rajoutait à l'impression d'intelligence que j'avais maintenant d'elle.
- T'es en grève? (C'est ça moi qui parle)
- Oui, c'est la meilleure solution pour se faire entendre.
- Ah! Une gréviste, enfin.
Ça devait bien être la seule autre gréviste parmi la cinquante de Cégépiens que l'épicerie emploie. J'étais content d'avoir trouvé une fille qui partageait ma vision dans cette épicerie où les mots productions et profits sont plus une philosophie qu'un objectif.
En deux semaines, je l'ai revue peut-être 20 grosses minutes. Je dis des grosses minutes, parce que ce sont des minutes qui furent bien utilisé. J'ai appris qu'elle était montréalaise la semaine et chamblyenne la fin de semaine, qu'elle était une militante active dans la grève et qu'elle était dotée d'une fine intelligence.
Pour mon grand malheur, j'appris aussi qu'elle démissionnait de l'épicerie. Elle avait trouvé un emploi sur le plateau. J'étais quand même agréablement surpris, puisque le plateau était, et est toujours, l'endroit ou je me sens le plus chez moi de l'île. Elle quittait dans deux semaines, et j'avais eu le temps d'analyser assez sa routine pour me rendre compte qu'elle travaillait tous les vendredi soir.
Le deuxième vendredi avant son dernier, j'eu la chance de pouvoir discuter avec elle dix minutes. Assez longtemps pour me rendre compte que, des filles comme ça, il n'y en a qu'une sur un million. Assez longtemps pour me rendre compte que je ne me pouvais pas me permettre de la laisser partir sans même forger une amitié.
Vous comprenez, des cégépiennes qui lisent Nietzsche, qui sont gréviste, qui habitent Montréal et qui existent dans mes connaissances, c'est rare. C'était même la seule...
Le dernier vendredi avant son dernier, j'eu la chance de pouvoir discuter avec elle cinq minutes. La peur qu'elle n'interprète mal mon geste m'empêcha d'oser lui demander son numéro de téléphone, ou de lui offrir le mien. Je me suis dit qu'il me restait encore un vendredi.
Je me suis dit qu'elle serait sûrement plus encline à garder contact avec moi si je lui demandais lors de sa dernière journée.
Son dernier vendredi, qui était en fait hier, j'ai eu la chance de pouvoir discuter avec elle durant aucune minute. En effet, elle n'était pas au travail. Je me suis dit qu'elle avait peut-être prise une journée de congé pour rester à Montréal, ou bien qu'elle s'était trompée sur la date. C'est dommage.
Je ne serai jamais ami avec l'étudiante qui lisait Nietzsche. Ça m'attriste.
C'était un peu pour ça que les étudiants étaient, à ce moment, en grève. C'était un peu pour ça que j'avais voté pour la grève. C'était un peu pour ça que je m'étais fait regardé comme un croche par tous les autres employés, capitalistes et fiers de travailler pour cette épicerie corporatiste.
Après un avant-midi ennuyant parce qu'il n'y avait pas un client et que toutes les tablettes étaient pleines, et un après-midi stressant parce que l'épicerie étaient pleine de clients et que les tablettes étaient toutes vides, je pris la décision de prendre une pause, communément appelée "break" par ces apprentis américains que sont mes collègues.
Je ne fumes pas, mais je vais toujours dans la salle de pause pour fumeur, parce que, travaillant à Chambly, une forte majorité de mes collègues sont fumeurs.
La salle de pause était silencieuse, mais pourtant habitée. Sa seule et unique résidente était une caissière (je l'avais reconnu), assise au bout d'une table polluée par les déchets de mes collègues trop paresseux pour ramasser leurs boîtes, leurs sacs et leurs ustensiles, tous usés et non recyclable, en quittant le local.
Des cheveux bruns ondulés et détachés, une cigarette à la bouche (probablement une chamblyenne, me dis-je) et de d'indéchiffrables grands yeux verts créaient un visage qui semblait jeune mais mature. Elle était absorbée par ce qu'elle tenait à la main, un livre de Nietzsche, que j'évaluai comme un de ses travaux de Cégep (le visage jeune et mature me donnait la piste qu'elle était du réseau collégial).
Pris entre la curiosité et la peur d'être trop gêné pour lui adresser un mot, je m'approchai.
- Allo
- Salut, me fit-elle en allongeant un peu le son u.
Sa voix ressemblait à un mélange entre un petite voix mignonne qu'on aurait entendu sur une vieille radio avec une antenne abîmée, et une douce voix calme, mais enrhumée.
- Tu lis Nietzsche?
- Ouais...
- C'est pour l'école?
- Non, c'est pour moi.
Les mots qu'elle plaçait à travers sa petite voix unique semblaient pesés, et le propos de sa phrase rajoutait à l'impression d'intelligence que j'avais maintenant d'elle.
- T'es en grève? (C'est ça moi qui parle)
- Oui, c'est la meilleure solution pour se faire entendre.
- Ah! Une gréviste, enfin.
Ça devait bien être la seule autre gréviste parmi la cinquante de Cégépiens que l'épicerie emploie. J'étais content d'avoir trouvé une fille qui partageait ma vision dans cette épicerie où les mots productions et profits sont plus une philosophie qu'un objectif.
En deux semaines, je l'ai revue peut-être 20 grosses minutes. Je dis des grosses minutes, parce que ce sont des minutes qui furent bien utilisé. J'ai appris qu'elle était montréalaise la semaine et chamblyenne la fin de semaine, qu'elle était une militante active dans la grève et qu'elle était dotée d'une fine intelligence.
Pour mon grand malheur, j'appris aussi qu'elle démissionnait de l'épicerie. Elle avait trouvé un emploi sur le plateau. J'étais quand même agréablement surpris, puisque le plateau était, et est toujours, l'endroit ou je me sens le plus chez moi de l'île. Elle quittait dans deux semaines, et j'avais eu le temps d'analyser assez sa routine pour me rendre compte qu'elle travaillait tous les vendredi soir.
Le deuxième vendredi avant son dernier, j'eu la chance de pouvoir discuter avec elle dix minutes. Assez longtemps pour me rendre compte que, des filles comme ça, il n'y en a qu'une sur un million. Assez longtemps pour me rendre compte que je ne me pouvais pas me permettre de la laisser partir sans même forger une amitié.
Vous comprenez, des cégépiennes qui lisent Nietzsche, qui sont gréviste, qui habitent Montréal et qui existent dans mes connaissances, c'est rare. C'était même la seule...
Le dernier vendredi avant son dernier, j'eu la chance de pouvoir discuter avec elle cinq minutes. La peur qu'elle n'interprète mal mon geste m'empêcha d'oser lui demander son numéro de téléphone, ou de lui offrir le mien. Je me suis dit qu'il me restait encore un vendredi.
Je me suis dit qu'elle serait sûrement plus encline à garder contact avec moi si je lui demandais lors de sa dernière journée.
Son dernier vendredi, qui était en fait hier, j'ai eu la chance de pouvoir discuter avec elle durant aucune minute. En effet, elle n'était pas au travail. Je me suis dit qu'elle avait peut-être prise une journée de congé pour rester à Montréal, ou bien qu'elle s'était trompée sur la date. C'est dommage.
Je ne serai jamais ami avec l'étudiante qui lisait Nietzsche. Ça m'attriste.
Un billet signé Nicolas
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